Avis de la Cour du 15
novembre 1994.
Compétence de la Communauté pour conclure des accords
internationaux en matière de services et de protection de la propriété
intellectuelle - Procédure de l'article 228, paragraphe 6, du traité CE.
Avis 1/94.
Recueil de jurisprudence 1994 page I-05267
Sommaire
Motifs de
l'arrêt
Dispositif
Contenu de l'arrêt
1 Accords internationaux - Conclusion - Avis
préalable de la Cour - Objet - Répartition des compétences entre la Communauté
et les États membres
(Traité CE, art. 228, § 6)
2 Accords internationaux
- Avis préalable de la Cour - Accord envisagé - Notion
(Traité CE, art. 228,
§ 6)
3 Accords internationaux - Accords de la Communauté - Territoires
dépendant d'un État membre et n'appartenant pas à la Communauté - Modalités de
participation aux accords - Représentation par l'État membre concerné - Absence
d'incidence sur la répartition des compétences entre la Communauté et les États
membres
(Traité CE, art. 228)
4 Accords internationaux - Compétences de
la Communauté et des États membres - Dispositions nationales en matière de
conclusion des traités - Absence d'incidence
5 Accords internationaux -
Compétences de la Communauté et des États membres - Accord comportant une
obligation de financement à la charge des États membres - Absence d'incidence
6 Politique commerciale commune - Conclusion d'accords internationaux -
Inclusion des produits relevant du traité CEEA
(Traité CE, art. 113 et 232,
§ 2; Traité CEEA)
7 Politique commerciale commune - Conclusion d'accords
internationaux - Inclusion des produits relevant du traité CECA - Limites
(Traité CE, art. 113 et 232, § 1; Traité CECA, art. 71)
8 Accords
internationaux - Conclusion par la Communauté des accords sur l'agriculture et
sur l'application des mesures sanitaires et phytosanitaires annexés à l'Accord
instituant l'Organisation mondiale du commerce - Accords relevant de la
politique commerciale commune - Base juridique
(Traité CE, art. 43 et 113)
9 Accords internationaux - Compétences de la Communauté et des États membres
- Conclusion de l'Accord sur les obstacles techniques au commerce annexé à
l'Accord instituant l'Organisation mondiale du commerce - Accord relevant de la
politique commerciale commune
(Traité CE, art. 113)
10 Politique
commerciale commune - Notion - Services au sens de l'Accord général sur le
commerce des services (GATS) annexé à l'Accord instituant l'Organisation
mondiale du commerce - Exclusion à l'exception de la fourniture transfrontalière
n'impliquant pas de déplacement de personnes
(Traité CE, art. 113)
11
Politique commerciale commune - Transports - Exclusion
(Traité CE, art. 113)
12 Actes des institutions - Choix de la base juridique - Critères - Pratique
d'une institution - Défaut de pertinence au regard des règles du traité
13
Politique commerciale commune - Notion - Accord sur les aspects des droits de
propriété intellectuelle qui touchent au commerce (TRIPs) annexé à l'Accord
instituant l'Organisation mondiale du commerce - Exclusion à l'exception des
dispositions relatives à l'interdiction de la mise en libre pratique des
marchandises de contrefaçon
(Traité CE, art. 113)
14 Accords
internationaux - Conclusion - Transports - Compétence de la Communauté - Absence
de caractère exclusif en l'état actuel de la couverture de la matière par des
règles communes sur le plan interne
15 Accords internationaux - Conclusion -
Droit d'établissement et libre prestation des services - Compétence de la
Communauté - Absence de caractère exclusif en l'état actuel de la couverture de
la matière par des règles communes fixant le traitement à accorder aux
ressortissants des pays tiers
16 Accords internationaux - Conclusion -
Domaines ouverts à l'intervention de la Communauté par les articles 100 A ou 235
du traité - Compétence de la Communauté - Caractère exclusif - Critères
d'appréciation
(Traité CE, art. 100 A et 235)
17 Accords internationaux
- Conclusion - Protection de la propriété intellectuelle - Compétence de la
Communauté - Absence de caractère exclusif en l'état actuel de l'harmonisation
des règles nationales réalisée au plan communautaire
18 Accords
internationaux - Conclusion - Compétence de la Communauté - Caractère exclusif -
Critères d'appréciation - Difficultés découlant pour la gestion d'un accord
d'une participation conjointe de la Communauté et des États membres - Absence
d'incidence
19 Accords internationaux - Accord relevant pour partie de la
compétence de la Communauté et pour partie de celle des États membres -
Nécessité d'une coopération étroite dans la négociation, la conclusion et
l'exécution
Sommaire
20 L'avis de la Cour, au titre de l'article
228, paragraphe 6, du traité, peut être notamment recueilli sur les questions
qui concernent la répartition des compétences entre la Communauté et les États
membres pour conclure avec des pays tiers un accord déterminé.
21 La Cour
peut être appelée à se prononcer, au titre de l'article 228, paragraphe 6, du
traité, à tout moment, avant que le consentement de la Communauté à être liée
par l'accord soit définitivement exprimé. Tant que ce consentement n'est pas
intervenu, l'accord reste, même après sa signature, un accord envisagé.
22
Les territoires dépendants dont certains États membres assurent la
représentation dans les relations internationales, dans la mesure où ils restent
en dehors du domaine d'application du traité, se trouvent, à l'égard de la
Communauté, dans la même situation que les pays tiers. Dès lors, c'est en tant
qu'ils assurent les relations internationales de territoires dépendant d'eux,
mais ne faisant pas partie de l'aire du droit communautaire, et non en tant que
membres de la Communauté, que les États dont relèvent ces territoires ont
vocation à participer à un accord international donné. La position particulière
de ces États membres ne saurait toutefois influencer la solution du problème
relatif à la délimitation des sphères de compétence à l'intérieur de la
Communauté pour conclure le même accord.
23 Des dispositions d'ordre
juridique interne, même de nature constitutionnelle, ne sont pas susceptibles de
modifier la répartition des compétences internationales entre les États membres
et la Communauté, telle qu'elle résulte du traité.
24 S'agissant d'une
organisation internationale qui ne disposera que d'un budget de fonctionnement
et non pas d'un instrument d'action financière, la prise en charge des dépenses
de l'Organisation mondiale du commerce par les États membres ne saurait
justifier à elle seule la participation des États membres à la conclusion de
l'accord.
25 Les dispositions du traité CE ne dérogeant pas, selon son
article 232, paragraphe 2, aux stipulations du traité instituant la Communauté
européenne de l'énergie atomique et le traité Euratom ne comportant aucune
disposition sur le commerce extérieur, rien ne s'oppose à ce que les accords
conclus en vertu de l'article 113 du traité CE s'étendent aux échanges
internationaux de produits relevant du traité Euratom.
26 Le traité CECA,
que le traité CE, aux termes de son article 232, paragraphe 1, n'a pas entendu
modifier, en prévoyant, en son article 71, que la compétence des États membres
en matière de politique commerciale n'est pas affectée par son application, n'a
pu viser que les accords avec les États tiers portant spécifiquement sur les
produits CECA, de sorte que la Communauté est seule compétente en vertu de
l'article 113 du traité CE pour conclure un accord externe à caractère général,
c'est-à-dire englobant toutes espèces de marchandises, même si, parmi ces
marchandises, il y a des produits CECA. En effet, il est exclu que l'article 71
du traité CECA puisse rendre inopérant l'article 113 du traité, et affecter les
attributions de compétence à la Communauté pour la négociation et la conclusion
d'accords internationaux relevant de la politique commerciale commune.
27
L'Accord sur l'agriculture, annexé à l'Accord instituant l'Organisation mondiale
du commerce, en ce qu'il vise à établir, sur le plan mondial, un système de
commerce de produits agricoles qui soit équitable et axé sur le marché, et
l'Accord sur l'application des mesures sanitaires et phytosanitaires, lui aussi
annexé à l'accord précité, en ce qu'il se borne à établir un cadre multilatéral
de règles et de disciplines pour orienter l'élaboration, l'adoption et
l'application de mesures sanitaires et phytosanitaires afin de réduire au
minimum leurs effets négatifs sur le commerce, peuvent être conclus par la
Communauté au titre de l'article 113 du traité seul, même si c'est sur la base
juridique de l'article 43 du traité que seront adoptées des mesures d'exécution
nécessaires à la mise en oeuvre des engagements que comportent lesdits accords.
28 Les dispositions de l'Accord sur les obstacles techniques au commerce
annexé à l'Accord instituant l'Organisation mondiale du commerce sont simplement
destinées à éviter que les règlements techniques et les normes ainsi que les
procédures d'évaluation de la conformité aux règlements techniques et aux normes
créent des obstacles non nécessaires au commerce international, de sorte que
ledit accord doit être considéré comme relevant de la politique commerciale
commune et pouvant à ce titre être conclu par la Communauté seule, nonobstant le
fait que les États membres conservent, en l'état actuel du droit communautaire,
des compétences en la matière.
29 Compte tenu de l'évolution du commerce
international, attestée par l'Accord instituant l'Organisation mondiale du
commerce (OMC) et ses annexes, dont l'Accord général sur le commerce des
services (GATS), qui ont fait l'objet d'une négociation d'ensemble englobant
marchandises et services, le caractère ouvert de la politique commerciale
commune s'oppose à ce que le commerce des services soit exclu d'emblée et par
principe du champ d'application de l'article 113 du traité.
Pour ce qui est
de la fourniture transfrontalière qui n'implique aucun déplacement de personnes,
le service est rendu par un prestataire établi dans un pays déterminé à un
bénéficiaire résidant dans un autre pays. Il n'y a ni déplacement du prestataire
vers le pays du bénéficiaire ni, en sens inverse, déplacement du bénéficiaire
vers le pays du prestataire. Cette situation n'est pas sans analogie avec un
échange de marchandises, lequel relève de la politique commerciale commune au
sens du traité. Aucune raison particulière ne s'oppose donc à ce qu'une telle
prestation entre dans la notion de politique commerciale commune.
Il n'en va
pas de même des trois autres modes de fourniture de services visés par le GATS:
- la consommation à l'étranger qui comporte le déplacement du bénéficiaire
vers le territoire du Membre de l'OMC où le prestataire est établi;
- la
présence commerciale, c'est-à-dire la présence d'une filiale ou d'une succursale
sur le territoire du Membre de l'OMC où le service doit être rendu;
- la
présence de personnes physiques d'un Membre de l'OMC grâce auxquelles un
prestataire d'un Membre fournit des services sur le territoire de tout autre
Membre.
Pour ce qui est des personnes physiques, il ressort de l'article 3
du traité qui distingue, dans sa lettre b, «une politique commerciale commune»
et, dans sa lettre d, «des mesures relatives à l'entrée et à la circulation des
personnes», que le traitement des ressortissants de pays tiers lors du
franchissement des frontières extérieures des États membres ne saurait être
considéré comme relevant de la politique commerciale commune. De manière plus
générale, l'existence dans le traité de chapitres spécifiques consacrés à la
libre circulation des personnes, tant physiques que morales, fait apparaître que
ces matières ne sont pas englobées dans la politique commerciale commune.
Il
en résulte que les modes de fourniture de services que le GATS appelle
«consommation à l'étranger», «présence commerciale» et «présence de personnes
physiques» ne sont pas couverts par la politique commerciale commune.
30 Les
services particuliers que constituent les transports font l'objet, dans le
traité, d'un titre spécial, distinct du titre qui est consacré à la politique
commerciale commune, de sorte que les accords internationaux en matière de
transports ne relèvent pas de l'article 113 du traité, nonobstant le fait qu'une
série de mesures d'embargo arrêtées par le Conseil et la Commission, qui ont été
fondées sur l'article 113, comportaient l'interruption des transports. En effet,
l'embargo portant d'abord sur l'exportation et l'importation des produits, il
n'aurait pu être effectif s'il n'avait pas été accompagné de l'accessoire
nécessaire que constituait l'interruption des transports.
31 Une simple
pratique du Conseil n'est pas susceptible de déroger aux règles du traité et ne
peut, par conséquent, créer un précédent liant les institutions de la Communauté
lorsque, préalablement à l'adoption d'une mesure, il leur appartient de
déterminer la base juridique correcte à cet effet.
32 Dans la mesure où la
section de l'Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui
touchent au commerce (TRIPs), relative aux moyens de faire respecter les droits
de propriété intellectuelle, contient des prescriptions spéciales concernant les
mesures à la frontière, le TRIPs trouve son pendant dans les dispositions du
règlement n_ 3842/86 du Conseil fixant des mesures en vue d'interdire la mise en
libre pratique des marchandises de contrefaçon. Ce type de mesures pouvant être
adopté de façon autonome sur la base de l'article 113 du traité CE, des accords
internationaux ayant le même objet relèvent de la compétence de la Communauté en
matière de politique commerciale.
S'agissant des dispositions du TRIPs
autres que celles qui concernent l'interdiction de la mise en libre pratique des
marchandises de contrefaçon, le lien entre la propriété intellectuelle et le
commerce des marchandises, tenant à ce que les droits de propriété
intellectuelle permettent à leurs titulaires d'empêcher d'accomplir certains
actes produisant des effets sur ce commerce, n'est pas suffisant pour faire
entrer lesdits droits dans le champ de l'article 113 du traité.
Dans le
domaine de la propriété intellectuelle, la Communauté dispose certes, sur le
plan législatif interne, d'une compétence d'harmonisation des législations
nationales au titre des articles 100 et 100 A et peut se fonder sur l'article
235 pour créer des titres nouveaux qui viennent se superposer aux titres
nationaux. Ces dispositions sont cependant soumises à des règles de vote ou à
des règles de procédure différentes de celles qui sont applicables dans le cadre
de l'article 113. Si une compétence exclusive était reconnue à la Communauté au
titre de ce dernier article pour s'engager dans des accords avec des pays tiers
en vue de la protection de la propriété intellectuelle et pour réaliser, dans le
même temps, une harmonisation sur le plan communautaire, les institutions
communautaires seraient en mesure de se soustraire aux contraintes qui leur sont
imposées sur le plan interne, lorsqu'elles entendent engager une action en ce
domaine, en ce qui concerne la procédure et le mode de vote, ce qui n'est pas
admissible.
Cette conclusion n'est pas susceptible d'être remise en cause
par le fait que les institutions communautaires ont développé une pratique
consistant à recourir, pour assurer la protection des intérêts de la Communauté
en matière de propriété intellectuelle, à des mesures autonomes relevant de la
politique commerciale, à savoir l'ouverture de procédures au titre du nouvel
instrument de politique commerciale et la suspension de préférences tarifaires
généralisées, ou à insérer dans des accords commerciaux des dispositions
accessoires relatives à ladite propriété.
33 Même en matière de transports,
la compétence externe exclusive de la Communauté ne découle pas ipso facto de
son pouvoir d'édicter des règles sur le plan interne. Les États membres, qu'ils
agissent individuellement ou collectivement, ne perdent le droit de contracter
des obligations à l'égard de pays tiers qu'au fur et à mesure que sont
instaurées des règles communes qui pourraient être affectées par ces
obligations. Ce n'est que dans la mesure où des règles communes ont été établies
sur le plan interne que la compétence de la Communauté devient exclusive. Or,
toutes les questions relatives aux transports n'ont pas d'ores et déjà fait
l'objet de règles communes, de sorte que les États membres n'ont pas perdu toute
compétence pour conclure des accords internationaux en la matière.
A
supposer que l'exercice de cette compétence comporte un risque de distorsions de
flux de services et d'atteinte à l'unité du marché intérieur, rien n'empêche les
institutions d'organiser, dans les règles communes qu'elles arrêtent, des
actions concertées à l'égard des pays tiers ni de prescrire les attitudes à
prendre par les États membres vis-à-vis de l'extérieur.
34 Les chapitres du
traité sur le droit d'établissement et la libre prestation des services ne
comportent aucune disposition qui étende expressément la compétence de la
Communauté à des relations relevant du droit international. Leur seul objectif
est d'assurer le droit d'établissement et la libre prestation des services au
profit des ressortissants des États membres. Ils ne comportent aucune
disposition qui règle le problème du premier établissement de ressortissants de
pays tiers et le régime de leur accès à des activités non salariées. Il est donc
exclu de pouvoir déduire d'emblée de ces chapitres une compétence exclusive de
la Communauté pour conclure avec des États tiers un accord visant à libéraliser
le premier établissement et l'accès aux marchés des services autres que ceux qui
font l'objet de fournitures transfrontalières, au sens de l'Accord général sur
le commerce des services (GATS), et relèvent de l'article 113 du traité.
La
préservation de la cohésion du marché intérieur ne justifie pas davantage la
participation de la Communauté seule à la conclusion du GATS. En effet, la
réalisation de la liberté d'établissement et de la libre prestation des services
en faveur des ressortissants des États membres n'est pas indissolublement liée
au sort à réserver dans la Communauté aux ressortissants de pays tiers ou dans
les pays tiers aux ressortissants d'États membres de la Communauté.
Certes,
de ce que le seul objectif expressément indiqué dans les chapitres du traité sur
le droit d'établissement et la libre prestation des services soit la réalisation
de ces libertés au profit des ressortissants de la Communauté, il ne découle pas
que les institutions communautaires se voient interdire de faire usage des
pouvoirs qui leur sont conférés dans ce cadre en vue de préciser le traitement
qui doit être réservé aux ressortissants de pays tiers, et, dès lors que la
Communauté a inclus dans ses actes législatifs internes des clauses relatives au
traitement à réserver aux ressortissants de pays tiers ou qu'elle a conféré
expressément à ses institutions une compétence pour négocier avec les pays
tiers, elle acquiert une compétence externe exclusive dans la mesure couverte
par ces actes. Tel est toujours le cas, même en l'absence de clause expresse,
lorsque la Communauté a réalisé une harmonisation complète du régime d'accès à
une activité non salariée.
L'ensemble du secteur des services ne connaissant
pas pareille situation, la compétence pour conclure le GATS est partagée entre
la Communauté et les États membres.
35 Il n'est pas contestable que, lorsque
la compétence d'harmonisation conférée par l'article 100 A du traité a été
exercée, les mesures d'harmonisation ainsi arrêtées peuvent limiter la liberté
des États membres de négocier avec des pays tiers, voire la leur enlever. Mais
il est exclu qu'une compétence d'harmonisation sur le plan interne, qui n'a pas
été mise en oeuvre dans un domaine déterminé, puisse aboutir à créer, en faveur
de la Communauté, un titre de compétence exclusive, sur le plan externe, dans ce
domaine.
Il en va de même pour l'article 235 du traité, qui, s'il permet à
la Communauté de remédier aux insuffisances des pouvoirs qui lui sont conférés,
explicitement ou implicitement, en vue de la réalisation de ses objectifs, ne
peut créer comme tel un titre de compétence exclusive de la Communauté sur le
plan international.
36 En matière de propriété intellectuelle,
l'harmonisation réalisée dans le cadre communautaire est, s'agissant des
domaines couverts par l'Accord sur les aspects des droits de propriété
intellectuelle qui touchent au commerce (TRIPs), soit partielle, soit
inexistante. En ce qui concerne les mesures à prendre pour garantir une
protection efficace des droits de propriété intellectuelle, la Communauté a
certainement une compétence pour harmoniser les règles nationales sur ces sujets
dans le cadre de l'article 100 du traité, mais, jusqu'ici, les institutions
communautaires n'ont presque pas exercé leurs compétences en ce domaine.
Il
en résulte que la Communauté et les États membres ont une compétence partagée
pour conclure le TRIPs.
37 Les difficultés susceptibles de se présenter sur
le plan de la mise en oeuvre d'un accord international quant à la coordination
nécessaire en vue d'assurer l'unité d'action en cas de participation conjointe à
celui-ci de la Communauté et des États membres sont sans pertinence pour
trancher la question de la répartition des compétences quant à ladite
participation.
38 Lorsqu'il apparaît que la matière d'une convention
internationale relève en partie de la compétence de la Communauté et en partie
de celle des États membres, l'exigence d'unité dans la représentation
internationale de la Communauté impose d'assurer une coopération étroite entre
ces derniers et les institutions communautaires, tant dans le processus de
négociation et de conclusion que dans l'exécution des engagements assumés.
Ce devoir de coopération s'impose de façon d'autant plus impérieuse dans le
cas d'accords comme ceux annexés à l'Accord instituant l'Organisation mondiale
du commerce, entre lesquels existe un lien indissociable, et pour lesquels est
mis en place un système de règlement des litiges comportant un mécanisme de
rétorsion croisée
Motifs de l'arrêt
I. Introduction
1 Les questions
dont la Commission a saisi la Cour par une demande d'avis introduite au titre de
l'article 228, paragraphe 6, du traité instituant la CE ont d'abord pour objet
le caractère exclusif ou non de la compétence de la Communauté pour conclure les
Accords multilatéraux sur le commerce des marchandises, dans la mesure où ces
Accords concernent les produits CECA et les produits Euratom. Elles portent
ensuite sur la compétence exclusive que la Communauté tirerait soit de l'article
113 du traité CE, soit du parallélisme des compétences internes et externes,
soit encore des articles 100 A ou 235 du traité CE, pour conclure l'Accord
général sur le commerce des services (ci-après le «GATS») et l'Accord relatif
aux aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce, y
compris le commerce des marchandises de contrefaçon (ci-après le «TRIPs»).
2
Ces divers accords sont annexés à l'Accord instituant l'Organisation mondiale du
commerce (ci-après l'«Accord OMC»). Celui-ci crée un cadre institutionnel commun
pour la conduite des relations commerciales entre les pays membres pour toutes
les questions liées aux accords et instruments juridiques qui y sont annexés
(article II, paragraphe 1, de l'Accord OMC). Ces divers accords reprennent les
résultats des négociations commerciales multilatérales du Cycle d'Uruguay dont
le point de départ a été la déclaration ministérielle de Punta del Este du 20
septembre 1986.
3 Lorsqu'ils ont approuvé cette déclaration, le Conseil et
les États membres ont décidé, «afin de garantir le maximum de cohérence dans la
conduite des négociations», que «la Commission agirait comme négociateur unique
de la Communauté et des États membres». Toutefois, il a été précisé au
procès-verbal de la réunion que cette décision «ne préjug(eait) pas la question
de la compétence de la Communauté et des États membres sur des sujets
particuliers».
4 Le 15 décembre 1993, le Comité des négociations
commerciales, organisme spécialement institué par la Conférence de Punta del
Este pour mener à bien les négociations du Cycle d'Uruguay, réuni au niveau des
hauts fonctionnaires, a approuvé l'Acte final reprenant les résultats des
négociations commerciales multilatérales du Cycle d'Uruguay.
5 Lors de sa
session des 7 et 8 mars 1994, le Conseil a décidé de procéder à la signature de
cet Acte final et de l'Accord OMC. Il a autorisé le président du Conseil et Sir
Leon Brittan, membre de la Commission, à signer le 15 avril 1994 à Marrakech, au
nom du Conseil de l'Union européenne, l'Acte final et l'Accord OMC. Estimant que
ces actes «port(aient) également sur des questions de compétence nationale», les
représentants des gouvernements des États membres sont convenus, à la même date,
de procéder à la signature de l'Acte final et de l'Accord OMC. De son côté, la
Commission a fait acter au procès-verbal que «l'Acte final (...) et les accords
qui y sont annexés relèvent de la compétence exclusive de la Communauté.»
6
Le 6 avril 1994, la Commission a présenté sa demande d'avis. Ses questions sont
ainsi formulées:
«Eu égard aux résultats des négociations commerciales du
Cycle d'Uruguay du GATT contenus dans l'acte final du 15 décembre 1993:
1)
La Communauté européenne a-t-elle compétence pour conclure toutes les parties de
l'accord instituant l'OMC qui concernent le commerce des services (GATS) et les
aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce, y
compris le commerce des marchandises de contrefaçon (TRIPs), sur la base du
traité CE, et plus particulièrement sur la base de l'article 113 seul ou combiné
avec les articles 100 A et/ou 235 dudit traité?
2) La Communauté européenne
a-t-elle compétence pour conclure seule les parties de l'Accord OMC qui
concernent les produits et/ou services relevant exclusivement du champ
d'application des traités CECA et CEEA ?
3) Si la réponse aux questions qui
précèdent est affirmative, cela affecte-t-il l'aptitude des États membres de
conclure l'Accord OMC, alors qu'il est déjà convenu qu'ils seront membres
originaires de l'OMC?»
7 Le 15 avril 1994, les accords issus du Cycle
d'Uruguay ont été effectivement signés à Marrakech. Pour la Communauté et ses
États membres, la signature est intervenue conformément aux décisions relatées
ci-dessus (voir le point 5).
8 Le 24 mai 1994, la demande d'avis présentée
par la Commission a été signifiée au Conseil et aux États membres.
II. Sur
la recevabilité de la demande
9 Il y a lieu d'abord de rappeler que, selon
une jurisprudence constante, l'avis de la Cour, au titre de l'article 228,
paragraphe 6, du traité, peut être notamment recueilli sur les questions qui
concernent la répartition des compétences entre la Communauté et les États
membres pour conclure avec des pays tiers un accord déterminé, comme c'est le
cas en l'espèce (voir notamment avis 1/75, du 11 novembre 1975, Rec. p. 1355 et
spécialement p. 1360, avis 1/78, du 4 octobre 1979, Rec. p. 2871, point 30, et
avis 2/91, du 19 mars 1993, Rec. p. I-1061, point 3).
10 Le royaume
d'Espagne conclut à l'irrecevabilité de la demande. La procédure d'avis au titre
de l'article 228 ne peut être engagée, selon lui, qu'à un moment où la
Communauté n'a pas encore pris d'engagement international. Le royaume d'Espagne
souligne que la signature de l'Acte final à Marrakech visait à authentifier les
textes issus des négociations et comportait, en outre, l'engagement des
signataires de les soumettre à l'approbation de leurs autorités respectives. Le
Conseil et le gouvernement néerlandais se bornent à émettre des doutes quant au
point de savoir si un accord déjà signé constitue encore un accord simplement
envisagé au sens de l'article 228.
11 Ces objections et ces doutes doivent
être écartés.
12 La Cour peut être appelée à se prononcer, au titre de
l'article 228, paragraphe 6, du traité, à tout moment, avant que le consentement
de la Communauté à être liée par l'accord soit définitivement exprimé. Tant que
ce consentement n'est pas intervenu, l'accord reste un accord envisagé. Dès
lors, rien ne s'oppose à la recevabilité de la présente demande.
III. Sur la
formulation des questions de la Commission
13 Le Conseil critique la manière
dont la Commission a formulé ses questions. Comme la procédure porte sur un
accord signé par la Communauté et par les États membres au titre de leurs
compétences respectives, il ne s'agit pas de savoir si la Communauté peut seule
signer et conclure cet accord (hypothèse théorique selon le Conseil), mais bien
de déterminer si «la conclusion conjointe des accords issus du Cycle d'Uruguay
par la Communauté et les États membres est (...) compatible avec la répartition
des compétences établie par les traités instituant les Communautés européennes»,
ce qui ne serait pas le cas si la totalité de l'accord relevait de la compétence
exclusive de la Communauté.
14 Les critiques du Conseil, auxquelles se
rallie le gouvernement portugais, doivent être écartées. Que les questions
soient posées dans les termes que propose le Conseil ou qu'elles soient
formulées dans les termes utilisés par la Commission, le problème de fond est de
déterminer si la compétence de la Communauté pour conclure l'Accord OMC et ses
annexes est exclusive ou non. C'est ce problème de fond que la Cour entend
aborder dans la suite de cet avis, en envisageant successivement certains
problèmes particuliers que soulèvent les Accords multilatéraux sur le commerce
des marchandises, le GATS et le TRIPs. Mais il convient de considérer au
préalable les arguments tirés, par le Conseil et certains des gouvernements qui
ont présenté des observations, de la représentation des territoires dépendants
des États membres et ceux que le gouvernement portugais fonde sur la
participation des États au financement du fonctionnement de l'OMC.
IV. Sur
la représentation de certains territoires dépendant des États membres
15 A
la compétence exclusive que la Commission invoque en faveur de la Communauté
pour conclure l'Accord OMC et ses annexes, le Conseil et plusieurs gouvernements
qui ont présenté des observations opposent que certains États membres restent
compétents pour la conclusion et l'exécution des accords relatifs aux
territoires auxquels les traités instituant les Communautés européennes ne
s'appliquent pas.
16 Le gouvernement français expose, en outre, que l'Accord
OMC et ses annexes échappent, en de nombreux points, au domaine assigné au
régime d'association des PTOM (pays et territoires d'outre-mer), et qu'il est
donc, dans cette mesure, seul compétent pour conclure l'Accord OMC et ses
annexes.
17 Ainsi que la Cour l'a jugé dans l'avis 1/78, précité (point 62),
les territoires en question, dans la mesure où ils restent en dehors du domaine
d'application du traité CEE, se trouvent à l'égard de la Communauté dans la même
situation que les pays tiers. Dès lors, c'est en tant qu'ils assurent les
relations internationales de territoires dépendant d'eux mais ne faisant pas
partie de l'aire du droit communautaire, et non en tant que membres de la
Communauté, que les États dont relèvent ces territoires ont vocation à
participer à l'accord.
18 Toutefois, ainsi que l'a souligné la Cour dans cet
avis (même point), la position particulière de ces États membres ne saurait
influencer la solution du problème relatif à la délimitation des sphères de
compétence à l'intérieur de la Communauté.
V. Sur les questions d'ordre
budgétaire et financier
19 Se référant à l'article VII de l'Accord OMC, qui
dispose que chaque membre contribuera aux dépenses de l'OMC, et eu égard au fait
que les États de la Communauté acquerront la qualité de membres originaires de
l'OMC (voir l'article XI, paragraphe 1), le gouvernement portugais estime que
cette circonstance suffit à justifier la participation des États membres à la
conclusion de l'accord, même si le financement n'a pas la même importance
décisive que dans l'accord international sur le caoutchouc qui a fait l'objet de
l'avis 1/78, précité. Le gouvernement portugais ajoute une raison tirée de son
propre droit constitutionnel, qui requiert l'approbation du parlement national
pour des traités internationaux prévoyant la participation de la République
Portugaise à des organisations internationales.
20 Quant à ce dernier
argument, il suffit de répondre que les dispositions d'ordre juridique interne,
même de nature constitutionnelle, ne sont pas susceptibles de modifier la
répartition des compétences internationales entre les États membres et la
Communauté, telle qu'elle résulte du traité.
21 Le premier argument ne peut
davantage être retenu. S'agissant d'une organisation internationale qui ne
disposera que d'un budget de fonctionnement et non pas d'un instrument d'action
financière, la prise en charge des dépenses de l'OMC par les États membres ne
saurait en aucun cas justifier à elle seule la participation des États membres à
la conclusion de l'Accord.
VI. Sur les Accords multilatéraux relatifs au
commerce de marchandises
22 Pour ce qui est des Accords multilatéraux sur le
commerce des marchandises, la Commission et les parties qui ont présenté des
observations s'accordent à reconnaître qu'ils sont, pour la plus grande partie,
couverts par la compétence exclusive que la Communauté détient, en matière de
politique commerciale commune, au titre de l'article 113 du traité CE. Les
divergences ne portent que sur des points particuliers.
23 La revendication
par la Commission d'une compétence exclusive en faveur de la Communauté pour
conclure les Accords multilatéraux sur le commerce des marchandises, pour autant
qu'ils s'appliquent aux produits Euratom, n'est contestée ni par le Conseil ni
par aucun des États qui ont présenté des observations. Toutefois, ce problème
ayant été soulevé par la Commission dans sa deuxième question, il convient de
l'examiner.
24 L'article 232, paragraphe 2, du traité CE précise que les
dispositions de ce dernier «ne dérogent pas aux stipulations du traité
instituant la Communauté européenne de l'énergie atomique». Comme le traité
Euratom ne comporte aucune disposition sur le commerce extérieur, rien ne
s'oppose à ce que les accords conclus en vertu de l'article 113 du traité CE
s'étendent aux échanges internationaux de produits Euratom.
25 Le cas des
produits CECA constitue, en revanche, un point de désaccord entre, d'une part,
la Commission pour qui la compétence exclusive de la Communauté au titre de
l'article 113 du traité CE vaut aussi pour les produits CECA et, d'autre part,
le Conseil et la plupart des États membres ayant présenté des observations qui
concluent à une compétence étatique en se référant à l'article 71 du traité
CECA.
26 Certes, aux termes de l'article 71 du traité CECA, «la compétence
des gouvernements des États membres en matière de politique commerciale n'est
pas affectée par l'application du présent traité, sauf dispositions contraires
de celui-ci». Par ailleurs, l'article 232, paragraphe 1, du traité CE spécifie
que celui-ci ne modifie pas les dispositions du traité instituant la CECA,
notamment en ce qui concerne les droits et les obligations des États membres et
les pouvoirs des institutions.
27 Toutefois, le traité CECA ayant été rédigé
à une époque où la Communauté économique européenne n'existait pas encore,
l'article 71 de ce traité n'a pu avoir en vue que les produits du charbon et de
l'acier. En toute hypothèse, il ne saurait réserver un titre de compétence aux
États membres que pour des accords portant spécifiquement sur les produits CECA.
En revanche, la Communauté est seule compétente en vertu de l'article 113 du
traité CE pour conclure un accord externe à caractère général, c'est-à-dire
englobant toutes espèces de marchandises même si, parmi ces marchandises, il y a
des produits CECA. Comme la Cour l'a jugé dans l'avis 1/75, précité (p. 1365,
troisième alinéa), il est exclu que l'article 71 du traité CECA puisse «rendre
inopérants les articles 113 et 114 du traité CEE, et affecter les attributions
de compétence à la Communauté pour la négociation et la conclusion d'accords
internationaux relevant du domaine de la politique commerciale commune». En
l'espèce, à l'examen des Accords multilatéraux sur le commerce des marchandises,
il apparaît qu'aucun d'entre eux ne se rapporte spécifiquement aux produits
CECA. Il en découle que la compétence exclusive de la Communauté pour conclure
ces accords ne saurait être mise en doute, au motif qu'ils s'appliquent
également aux produits CECA.
28 Le Conseil expose que le recours à l'article
43 du traité CE comme base de la décision du Conseil de conclure l'Accord OMC et
ses annexes s'imposera pour l'Accord sur l'agriculture, car il porte non
seulement sur les mesures commerciales applicables aux échanges internationaux
de produits agricoles, mais aussi et même surtout sur le régime interne
d'organisation des marchés agricoles. Le gouvernement du Royaume-Uni explique
spécialement que les engagements de réduire le soutien interne et les
restitutions à l'exportation que comporte l'Accord sur les produits agricoles
auront une incidence sur les organisations communes de marchés et que, touchant
les produits communautaires et non les produits importés, ils sortent du cadre
de l'article 113 du traité CE.
29 Pour ce qui est de l'Accord sur
l'agriculture, il est certes vrai que l'article 43 a été jugé comme étant la
base juridique appropriée pour une directive ayant pour objet la réglementation
uniforme des conditions de commercialisation de produits, non seulement dans les
échanges intracommunautaires, mais aussi lorsqu'ils proviennent de pays tiers
(voir arrêt du 16 novembre 1989, Commission/Conseil, C-131/87, Rec. p. I-3764,
point 27). Il s'agissait toutefois d'une directive qui visait à réaliser un ou
plusieurs des objectifs de politique agricole commune énoncés à l'article 39 du
traité. Tel n'est pas le cas de l'Accord sur l'agriculture annexé à l'Accord
OMC. En effet, celui-ci a pour objet d'établir, sur le plan mondial, «un système
de commerce de produits agricoles qui soit équitable et axé sur le marché» (voir
le préambule de l'Accord sur l'agriculture). Que les engagements souscrits dans
le cadre de cet Accord impliquent que des mesures d'exécution interne soient
adoptées sur la base de l'article 43 du traité n'empêche pas que les engagements
internationaux eux-mêmes puissent être pris au titre de l'article 113 seul.
30 Le Conseil expose encore que le recours à l'article 43 du traité CE
s'imposera également comme base de sa décision de conclure l'Accord sur
l'application des mesures sanitaires et phytosanitaires et ce, pour les mêmes
raisons que celles qu'il a avancées pour l'Accord sur l'agriculture.
31 Ce
point de vue doit être écarté. L'Accord sur l'application des mesures sanitaires
et phytosanitaires se borne, ainsi qu'il résulte de son exposé des motifs, à
«établir un cadre multilatéral de règles et de disciplines pour orienter
l'élaboration, l'adoption et l'application de mesures sanitaires et
phytosanitaires afin de réduire au minimum leurs effets négatifs sur le
commerce». Pareil accord peut être souscrit au titre du seul article 113.
32
Selon le gouvernement néerlandais, la participation conjointe de la Communauté
et des États membres à l'Accord OMC se justifie, car les États membres disposent
d'une compétence propre en matière d'obstacles techniques aux échanges, en
raison du caractère optionnel de certaines directives communautaires en ce
domaine et parce qu'une harmonisation complète n'a pas été réalisée et n'est pas
envisagée dans cette matière.
33 Cet argument ne peut être retenu. L'Accord
sur les barrières techniques au commerce doit être considéré comme relevant de
la politique commerciale commune, parce que ses dispositions sont simplement
destinées à éviter que les règlements techniques et les normes ainsi que les
procédures d'évaluation de la conformité aux règlements techniques et aux normes
créent des obstacles non nécessaires au commerce international (voir l'exposé
des motifs et les articles 2.2 et 5.1.2 de l'Accord).
34 Des considérations
qui précèdent, il découle que la Communauté est seule compétente, au titre de
l'article 113 du traité CE, pour conclure les Accords multilatéraux relatifs au
commerce des marchandises.
VII. Sur l'article 113 du traité CE, le GATS et
le TRIPs
35 La thèse que la Commission défend, à titre principal, est la
suivante: la conclusion tant du GATS que du TRIPs relève de la compétence
exclusive que la Communauté détient, en matière de politique commerciale, au
titre de l'article 113 du traité CE. Ce point de vue a été pour l'essentiel
vivement contesté par le Conseil, les États membres qui ont présenté des
observations et le Parlement européen qui a été autorisé, sur sa demande, à
présenter des observations. C'est cette thèse principale de la Commission qu'il
convient d'examiner d'abord, en envisageant successivement le GATS et le TRIPs.
A. Le GATS
36 S'appuyant pour l'essentiel sur l'interprétation non
restrictive que la jurisprudence de la Cour a donnée de la notion de politique
commerciale commune (voir avis 1/78, précité, points 44 et 45), les liens ou
l'imbrication entre les marchandises et les services, la finalité du GATS ainsi
que les instruments utilisés, la Commission conclut que les services entrent
dans la politique commerciale commune, sans qu'il y ait lieu de distinguer entre
les différents modes de fourniture de services et, particulièrement, entre les
services qui feraient l'objet d'une fourniture transfrontalière directe et ceux
qui seraient fournis par l'intermédiaire d'une présence commerciale dans le pays
du destinataire de la prestation. La Commission soutient également que les
accords internationaux à caractère commercial en matière de transports (par
opposition à ceux qui porteraient sur des règles de sécurité) relèvent de la
politique commerciale commune et non du titre particulier que le traité consacre
à la politique commune des transports.
37 Il convient d'envisager d'abord
les services autres que les transports et, ensuite, les services particuliers
que constituent les transports.
38 Pour ce qui est des premiers, il y a lieu
de rappeler à titre liminaire que, dans l'avis 1/75, ayant à se prononcer sur
l'étendue des compétences communautaires quant à l'arrangement relatif à une
norme sur les dépenses locales, la Cour a jugé «que le domaine de la politique
commerciale commune, et plus particulièrement celui de la politique
d'exportation, englobe nécessairement les régimes d'aides à l'exportation et
plus particulièrement les mesures concernant les crédits destinés au financement
des dépenses locales liées à des opérations d'exportation» (Rec. 1975, p. 1362).
Les dépenses locales en question concernaient les dépenses engagées pour la
fourniture tant de biens que de services. La Cour n'en a pas moins reconnu la
compétence exclusive de la Communauté, sans faire de distinction entre biens et
services.
39 Dans son avis 1/78, précité (point 44), la Cour a écarté une
interprétation de l'article 113 «dont l'effet serait de limiter la politique
commerciale commune à l'utilisation des instruments destinés à avoir une prise
sur les seuls aspects traditionnels du commerce extérieur». Elle a considéré, au
contraire, que «la question des échanges extérieurs doit être réglée dans une
perspective ouverte» ce que confirme «la circonstance que l'énumération, dans
l'article 113, des objets de la politique commerciale ... est conçue comme une
énumération non limitative» (avis 1/78, précité, point 45).
40 Dans sa
demande d'avis, la Commission a souligné que, dans certains pays développés, le
secteur des services est devenu le secteur dominant de l'économie et que
l'économie mondiale était en voie de restructuration fondamentale, la simple
industrie tendant à être transférée vers les économies des pays en voie de
développement, tandis que les économies développées étaient en passe de devenir
principalement exportatrices de services et de biens à haute valeur ajoutée. La
Cour constate que cette évolution est démontrée par l'Accord OMC et ses annexes
qui ont fait l'objet d'une négociation d'ensemble englobant marchandises et
services.
41 Compte tenu de cette évolution du commerce international, le
caractère ouvert de la politique commerciale commune au sens du traité s'oppose
à ce que le commerce des services soit exclu d'emblée et par principe du champ
de l'article 113, comme le voudraient certains des gouvernements qui ont
présenté des observations.
42 Afin de préciser cette conclusion, il convient
toutefois de tenir compte de la définition du commerce des services qui est
donnée par le GATS afin de voir si le système du traité dans son ensemble n'est
pas de nature à limiter l'inclusion du commerce des services dans l'article 113.
43 Le commerce des services au sens du GATS comprend, en vertu de son
article I, paragraphe 2, quatre modes de fourniture de services: 1) les
fournitures transfrontalières qui n'impliquent aucun déplacement de personnes;
2) la consommation à l'étranger qui comporte le déplacement du bénéficiaire vers
le territoire du Membre de l'OMC où le prestataire est établi; 3) la présence
commerciale, c'est-à-dire la présence d'une filiale ou d'une succursale sur le
territoire du Membre de l'OMC où le service doit être rendu; 4) la présence de
personnes physiques d'un Membre de l'OMC grâce auxquelles un prestataire d'un
Membre fournit des services sur le territoire de tout autre Membre.
44 Pour
ce qui est de la fourniture transfrontalière, le service est rendu par un
prestataire établi dans un pays déterminé à un bénéficiaire résidant dans un
autre pays. Il n'y a ni déplacement du prestataire vers le pays du bénéficiaire
ni, en sens inverse, déplacement du bénéficiaire vers le pays du prestataire.
Cette situation n'est donc pas sans analogie avec un échange de marchandises,
lequel relève, à n'en pas douter, de la politique commerciale commune au sens du
traité. Aucune raison particulière ne s'oppose donc à ce qu'une telle prestation
entre dans la notion de politique commerciale commune.
45 Il n'en va pas de
même des trois autres modes de fourniture de services visés par le GATS; la
consommation à l'étranger, la présence commerciale et la présence de personnes
physiques.
46 Pour ce qui est des personnes physiques, il ressort de
l'article 3 du traité qui distingue, dans sa lettre b, «une politique
commerciale commune» et, dans sa lettre d, «des mesures relatives à l'entrée et
à la circulation des personnes», que le traitement des ressortissants de pays
tiers lors du franchissement des frontières extérieures des États membres ne
saurait être considéré comme relevant de la politique commerciale commune. De
manière plus générale, l'existence dans le traité de chapitres spécifiques
consacrés à la libre circulation des personnes, tant physiques que morales, fait
apparaître que ces matières ne sont pas englobées dans la politique commerciale
commune.
47 Il en résulte que les modes de fourniture de services que le
GATS appelle «consommation à l'étranger», «présence commerciale» et «présence de
personnes physiques» ne sont pas couverts par la politique commerciale commune.
48 Il convient d'examiner maintenant les services particuliers que
constituent les transports. Ceux-ci font l'objet, dans le traité, d'un titre
spécial (le titre IV), distinct du titre VII qui est consacré à la politique
commerciale commune. C'est précisément à propos de la politique des transports
que la Cour a jugé, pour la première fois, que la compétence pour la Communauté
de conclure des accords internationaux «résulte non seulement d'une attribution
explicite par le traité - comme c'est le cas des articles 113 et 114 pour les
accords tarifaires et commerciaux et de l'article 238 pour les accords
d'association - mais peut découler également d'autres dispositions du traité et
d'actes pris, dans le cadre de ces dispositions, par les institutions de la
Communauté» (voir arrêt du 31 mars 1971, dit «AETR», Commission/Conseil, 22/70,
Rec. p. 263, point 16). L'idée sous-jacente à cette jurisprudence est que les
accords internationaux en matière de transports ne relèvent pas de l'article
113.
49 La portée de l'arrêt AETR ne peut être réduite en distinguant les
accords portant sur des règles de sécurité, telles que celles relatives à la
durée des temps de conduite des conducteurs professionnels qui faisaient l'objet
de l'AETR, et les accords de nature commerciale.
50 En effet, l'arrêt AETR
ne comporte aucune distinction de cette sorte. La Cour a confirmé son analyse
dans l'avis 1/76, du 26 avril 1977 (Rec. p. 741), à propos d'un accord qui avait
pour objet d'assainir la situation économique de la batellerie, autrement dit
d'un accord à caractère économique étranger à l'établissement de règles de
sécurité. C'est d'ailleurs sur la base du titre «transports» qu'ont été conclus
de nombreux accords avec des pays tiers dont le gouvernement du Royaume-Uni a
fourni une longue liste dans ses observations.
51 A l'appui de sa position,
la Commission a encore cité une série de mesures d'embargo qui ont été fondées
sur l'article 113 et qui comportaient l'interruption des services de transports
[mesures prises contre l'Iraq: règlement (CEE) nº 2340/90 du Conseil, du 8 août
1990, empêchant les échanges de la Communauté concernant l'Iraq et le Koweït (JO
L 213, p. 1), règlement (CEE) nº 3155/90 du Conseil, du 29 octobre 1990,
étendant et modifiant le règlement (CEE) nº 2340/90 empêchant les échanges de la
Communauté concernant l'Iraq et le Koweït (JO L 304, p. 1), et règlement (CEE)
n_ 1194/91 du Conseil, du 7 mai 1991, modifiant les règlements (CEE) nº 2340/90
et (CEE) nº 3155/90 empêchant les échanges de la Communauté concernant l'Irak et
le Koweït (JO L 115, p. 37); mesures prises contre la république fédérative de
Yougoslavie (Serbie et Monténégro): règlement (CEE) n_ 990/93 du Conseil, du 26
avril 1993, concernant les échanges entre la Communauté économique européenne et
la république fédérative de Yougoslavie (Serbie et Monténégro) (JO L 102, p.
14); mesures prises contre Haïti: règlement (CEE) n_ 1608/93 du Conseil, du 24
juin 1993, instituant un embargo sur certains échanges commerciaux entre la
Communauté économique européenne et Haïti (JO L 155, p. 2)]. Ces précédents ne
sont pas probants. Ainsi que l'a souligné à raison le Parlement européen,
l'embargo portant d'abord sur l'exportation et l'importation de produits, il
n'aurait pu être effectif s'il n'avait pas été décidé, en même temps, une
interruption des services de transports. Cette dernière apparaît comme
l'accessoire nécessaire de la mesure principale. Dès lors, les précédents sont
dépourvus de pertinence quant au point de savoir si la Communauté a une
compétence exclusive, au titre de l'article 113, pour conclure des accords
internationaux en matière de transports.
52 En toute hypothèse, selon une
jurisprudence constante, une simple pratique du Conseil n'est pas susceptible de
déroger à des règles du traité et ne peut, par conséquent, créer un précédent
liant les institutions de la Communauté quant au choix de la base juridique
correcte (arrêt du 23 février 1988, Royaume-Uni/Conseil, 68/86, Rec. p. 855,
point 24).
53 Des considérations qui précèdent, il résulte que seules les
fournitures transfrontalières entrent dans le champ de l'article 113 du traité
et que les accords internationaux en matière de transports en sont exclus.
B. Le TRIPs
54 A l'appui d'une compétence exclusive de la Communauté au
titre de l'article 113, la Commission expose, pour l'essentiel, que les règles
concernant les droits de propriété intellectuelle sont étroitement liées au
commerce des produits et des services auxquels elles s'appliquent.
55 Il y a
lieu d'abord de relever que la section 4 de la partie III du TRIPs, qui traite
des moyens de faire respecter les droits de propriété intellectuelle, contient
des prescriptions spéciales concernant les mesures à la frontière. Ainsi que l'a
relevé le gouvernement du Royaume-Uni, cette section trouve son pendant dans les
dispositions du règlement (CEE) n_ 3842/86 du Conseil, du 1er décembre 1986,
fixant des mesures en vue d'interdire la mise en libre pratique des marchandises
de contrefaçon (JO L 357, p. 1). C'est à juste titre que ce règlement, pour
autant qu'il concerne l'interdiction de la mise en libre pratique des
marchandises de contrefaçon, a été fondé sur l'article 113 du traité: il s'agit,
en effet, de mesures qui doivent être prises par les autorités douanières aux
frontières extérieures de la Communauté. Ce type de mesures pouvant être adopté
de façon autonome par les institutions communautaires sur la base de l'article
113 du traité CE, c'est à la Communauté seule qu'il appartient de conclure des
accords internationaux ayant cet objet.
56 En dehors des dispositions du
TRIPs qui concernent l'interdiction de la mise en libre pratique des
marchandises de contrefaçon, le point de vue défendu par la Commission ne
saurait toutefois être retenu.
57 Il y a, certes, un lien entre la propriété
intellectuelle et le commerce des marchandises. Les droits de propriété
intellectuelle permettent à leurs titulaires d'empêcher les tiers d'accomplir
certains actes. Pouvoir interdire l'usage d'une marque, la fabrication d'un
produit, la copie d'un modèle, la reproduction d'un livre, d'un disque ou d'une
vidéocassette a immanquablement des effets sur le commerce. Les droits de
propriété intellectuelle sont d'ailleurs précisément conçus pour produire ces
effets. Cela ne suffit pas à les faire entrer dans le champ de l'article 113. En
effet, les droits de propriété intellectuelle ne portent pas spécifiquement sur
les échanges internationaux: ils touchent tout autant et sinon plus au commerce
interne qu'au commerce international.
58 Ainsi que l'a fait observer à juste
titre le gouvernement français, l'objectif premier du TRIPs est de renforcer et
d'harmoniser la protection de la propriété intellectuelle à l'échelle mondiale.
La Commission elle-même a admis que, comme le TRIPs fixe des règles dans des
domaines où il n'y a pas de mesures d'harmonisation communautaire, sa conclusion
permettrait de réaliser, dans le même temps, une harmonisation à l'intérieur de
la Communauté et, par là, de contribuer à l'établissement et au fonctionnement
du marché commun.
59 Il y a lieu de souligner, à cet égard, que, sur le plan
législatif interne, la Communauté dispose, en matière de propriété
intellectuelle, d'une compétence d'harmonisation des législations nationales au
titre des articles 100 et 100 A et peut se fonder sur l'article 235 pour créer
des titres nouveaux qui viennent se superposer aux titres nationaux, comme elle
l'a fait avec le règlement sur la marque communautaire (règlement (CE) nº 40/94
du Conseil, du 20 décembre 1993, sur la marque communautaire, JO L 11 du 14
janvier 1994, p. 1). Ces dispositions sont soumises à des règles de vote
(l'unanimité pour ce qui est des articles 100 et 235) ou à des règles de
procédure (consultation du Parlement dans le cas de l'article 100 et de
l'article 235, procédure de codécision dans le cas de l'article 100 A)
différentes de celles qui sont applicables dans le cadre de l'article 113.
60 Si une compétence exclusive était reconnue à la Communauté pour s'engager
dans des accords avec des pays tiers en vue de l'harmonisation de la protection
de la propriété intellectuelle et pour réaliser, dans le même temps, une
harmonisation sur le plan communautaire, les institutions communautaires
seraient en mesure de se soustraire aux contraintes qui leur sont imposées sur
le plan interne en ce qui concerne la procédure et le mode de vote.
61 Cette
conclusion ne peut être modifiée en se fondant sur une pratique des
institutions, consistant dans des mesures autonomes ou des accords externes pris
au titre de l'article 113.
62 La Commission invoque trois cas où, en vertu
du «nouvel instrument de politique commerciale» [règlement (CEE) n_ 2641/84 du
Conseil, du 17 septembre 1984, relatif au renforcement de la politique
commerciale commune, notamment en matière de défense contre les pratiques
commerciales illicites (JO L 252, p. 1), règlement lui-même fondé sur l'article
113 du traité], une procédure a été ouverte en vue de défendre les intérêts de
la Communauté dans le domaine de la propriété intellectuelle [décision
87/251/CEE de la Commission, du 12 mars 1987, relative à l'ouverture d'une
procédure internationale de consultation et de règlement des différends
concernant une mesure américaine excluant du marché des États-Unis d'Amérique
les importations de certaines fibres aramides (JO L 117, p. 18); avis
d'ouverture d'une procédure «antipratiques commerciales illicites» concernant la
reproduction non autorisée, en Indonésie, de supports de son enregistrés (JO
1987, C 136, p. 3); avis d'ouverture d'une procédure d'examen concernant une
pratique commerciale illicite au sens du règlement (CEE) n_ 2641/84 du Conseil,
consistant dans le piratage des enregistrements sonores de la Communauté en
Thaïlande (JO 1991, C 189, p. 26)].
63 Les mesures qui peuvent être prises
au titre de ce règlement pour réagir contre un manque de protection dans un pays
tiers des droits de propriété intellectuelle dont des entreprises communautaires
seraient titulaires (ou contre une discrimination opérée à leur égard en cette
matière) n'ont pas de rapport avec l'harmonisation de la protection de la
propriété intellectuelle qui est l'objet premier du TRIPs. En effet, selon
l'article 10, paragraphe 3, du règlement n_ 2641/84, précité, il s'agit d'abord
de la suspension ou du retrait de toute concession issue de négociations de
politique commerciale; ensuite, du relèvement des droits de douane existants ou
de l'institution de toute autre imposition à l'importation; et enfin, de
l'instauration de restrictions quantitatives ou de toute autre mesure modifiant
les conditions d'importation ou d'exportation avec le pays tiers concerné.
Toutes ces mesures relèvent, par leur substance même, de la politique
commerciale.
64 La Commission tire également argument des mesures adoptées
par la Communauté à l'égard de la Corée dans le cadre du règlement (CEE) nº
4257/88 du Conseil, du 19 décembre 1988, portant application de préférences
tarifaires généralisées pour l'année 1989 à certains produits industriels
originaires de pays en voie de développement (JO L 375, p. 1). La Corée ayant
opéré une discrimination entre ses partenaires commerciaux en matière de
protection de la propriété intellectuelle (voir le dix-huitième considérant du
règlement), la Communauté a suspendu les préférences tarifaires généralisées à
l'égard de ses produits (article 1er, paragraphe 3, du même règlement).
65
L'argument n'est pas plus probant que le précédent. L'octroi de préférences
généralisées étant une mesure de politique commerciale, ainsi que la Cour l'a
jugé (voir arrêt du 26 mars 1987, dit «préférences tarifaires généralisées»,
Commission/Conseil, 45/86, Rec. p. 1493, point 21), il en est de même de sa
suspension. Cela ne démontre en rien que la Communauté aurait une compétence
exclusive au titre de l'article 113 pour conclure, avec des pays tiers, un
accord visant à harmoniser la protection de la propriété intellectuelle sur le
plan mondial.
66 A l'appui de son point de vue, la Commission a encore fait
état de clauses relatives à la protection de la propriété intellectuelle,
figurant dans des accords avec des pays tiers qui ont été conclus sur la base de
l'article 113 du traité.
67 Il y a lieu de souligner que la portée de ces
clauses est extrêmement limitée. L'accord entre la Communauté économique
européenne et la république populaire de Chine sur le commerce des produits
textiles, paraphé le 9 décembre 1988 (JO L 380, p. 1), de même que l'accord
entre la Communauté économique européenne et l'Union des républiques socialistes
soviétiques sur le commerce des produits textiles, paraphé le 11 décembre 1989
(JO L 397, p. 1) prévoient simplement une procédure de consultation au sujet de
la protection de marques ou de modèles de produits textiles. Par ailleurs, les
trois accords intérimaires conclus entre la Communauté et certains pays d'Europe
de l'Est [accord avec la Hongrie du 16 décembre 1991 (JO 1992, L 116, p. 1);
accord avec la République fédérative tchèque et slovaque du 16 décembre 1991 (JO
1992, L 115, p. 1); accord avec la république de Bulgarie du 8 mars 1993 (JO L
323, p. 1)] comportent tous une clause, rédigée en termes identiques, invitant
ces pays à améliorer la protection de la propriété intellectuelle afin
d'assurer, dans un certain délai, un «niveau de protection similaire à celui
garanti dans la Communauté» par les actes de la Communauté. Comme l'a souligné à
juste titre le gouvernement français, une clause de ce type n'engage que le pays
tiers, partie à l'accord.
68 Que la Communauté et ses institutions soient en
droit d'insérer, dans des accords extérieurs qui, pour le surplus, relèvent de
l'article 113 des dispositions accessoires organisant des procédures de pure
consultation ou des clauses invitant l'autre partie à relever le niveau de
protection de la propriété intellectuelle ne conduit pas à la conclusion que la
Communauté serait seule compétente pour conclure un accord international de la
nature et de l'ampleur du TRIPs.
69 Enfin, il est certes exact que, comme
l'expose la Commission, dans l'accord avec la république d'Autriche du 23
décembre 1988, relatif au contrôle et à la protection réciproque des vins de
qualité ainsi que du vin «retsina» (JO 1989, L 56, p. 1), et dans l'accord avec
l'Australie des 26 et 31 janvier 1994, relatif au commerce du vin (JO L 86, p.
1), figurent des dispositions relatives à la protection réciproque des
dénominations de vins. Ainsi, les noms des régions viticoles autrichiennes sont
réservés exclusivement, sur le territoire de la Communauté, aux vins autrichiens
auxquels ils s'appliquent et ne peuvent être utilisés que dans les conditions
prévues par la réglementation autrichienne (article 3, paragraphe 3, de
l'accord). Une disposition similaire est incluse dans l'accord avec l'Australie
(article 7, paragraphe 3).
70 Toutefois, comme il ressort des considérants
de la décision 94/184/CE du Conseil, du 24 janvier 1994, concernant la
conclusion et la signature de l'accord entre la Communauté européenne et
l'Australie relatif au commerce du vin (JO L 86, p. 1), cet accord a été établi
sur le plan communautaire parce que ses dispositions sont directement liées aux
mesures régies par la politique agricole commune, en l'occurrence par la
réglementation communautaire viti-vinicole. En outre, aucun argument ne peut
être tiré de ce précédent pour les brevets et les modèles, la protection des
informations techniques non divulguées, les marques ou encore le droit d'auteur,
qui sont également couverts par le TRIPs.
71 Au vu des considérations qui
précèdent, il y a lieu de conclure qu'à l'exception de celles de ses
dispositions qui concernent l'interdiction de la mise en libre pratique de
marchandises de contrefaçon, le TRIPs n'est pas couvert par la matière de la
politique commerciale commune.
VIII. Sur les pouvoirs implicites externes de
la Communauté européenne, le GATS et le TRIPs
72 Pour le cas où la Cour
rejetterait sa thèse principale d'une compétence exclusive de la Communauté au
titre de l'article 113, la Commission a soutenu, à titre subsidiaire, que la
compétence exclusive de la Communauté pour conclure le GATS et le TRIPs
découlerait implicitement des dispositions du traité établissant sa compétence
interne ou de l'existence d'actes de droit dérivé qui en constitueraient la mise
en oeuvre ou encore de la nécessité de prendre les engagements internationaux en
vue de la réalisation d'un objectif qui est fixé à la Communauté sur le plan
interne. Elle expose aussi que, à défaut de disposer de pouvoirs suffisants sur
la base de dispositions spécifiques du traité ou d'actes de droit dérivé, la
Communauté tirerait des articles 100 A et 235 du traité un titre de compétence
exclusive. Tout en reconnaissant que la Communauté détient certaines
compétences, le Conseil et les États qui ont présenté des observations en
contestent le caractère exclusif.
A. Le GATS
73 Pour ce qui est plus
particulièrement du GATS, la Commission fait état de trois sources possibles
d'une compétence externe exclusive de la Communauté: les pouvoirs que confère le
traité aux institutions communautaires sur le plan interne, la nécessité de
conclure l'accord pour réaliser un objectif de la Communauté, et enfin les
articles 100 A et 235.
74 La Commission expose en premier lieu qu'il
n'existe dans le GATS aucun domaine ou aucune disposition particulière pour
lesquels la Communauté ne dispose pas de pouvoirs correspondants pour prendre
des mesures sur le plan interne. Ces pouvoirs seraient énoncés dans les
chapitres sur le droit d'établissement, sur la libre prestation de services et
sur les transports. De ces pouvoirs sur le plan interne découlerait une
compétence externe exclusive.
75 Ce point de vue doit être écarté.
76
C'est en se fondant sur la disposition de l'article 75, paragraphe 1, sous a),
qui concerne également, pour la partie du trajet située sur le territoire
communautaire, les transports en provenance ou à destination des États tiers,
que la Cour a jugé, dans l'arrêt AETR, précité (point 27), que «la compétence de
la Communauté s'étend à des relations relevant du droit international et
implique, dès lors, dans le domaine visé, la nécessité d'accords avec les États
tiers intéressés».
77 Toutefois, même en matière de transports, la
compétence externe exclusive de la Communauté ne découle pas ipso facto de son
pouvoir d'édicter des règles sur le plan interne. Comme il a été souligné dans
l'arrêt AETR (points 17 et 18), les États membres, qu'ils agissent
individuellement ou collectivement, ne perdent le droit de contracter des
obligations à l'égard de pays tiers qu'au fur et à mesure que sont instaurées
des règles communes qui pourraient être affectées par ces obligations. Ce n'est
que dans la mesure où des règles communes ont été établies sur le plan interne
que la compétence externe de la Communauté devient exclusive. Or, toutes les
questions relatives aux transports n'ont pas d'ores et déjà fait l'objet de
règles communes.
78 Lors de l'audition, la Commission a fait valoir que la
liberté laissée aux États membres de mener une politique extérieure d'accords
bilatéraux avec les pays tiers produira immanquablement des distorsions de flux
de services et minera progressivement le marché intérieur. Ainsi, a-t-elle
exposé, le voyageur ira prendre son avion dans l'aéroport de l'État membre qui a
conclu avec un pays tiers et sa compagnie aérienne un accord bilatéral de type
«open-skies» qui permet d'offrir le meilleur rapport qualité-prix en matière de
transport. Ainsi encore, par suite de l'existence d'un accord germano-polonais
dispensant les transporteurs routiers allemands de toute taxe de transit, alors
que l'accord similaire entre la Pologne et les Pays-Bas impose aux transporteurs
néerlandais une taxe de 650 DM, une distorsion de concurrence entre
transporteurs néerlandais et transporteurs allemands serait apparue, en ce qui
concerne le trafic vers la Russie, la Biélorussie et les pays baltes.
79 A
cet argument, il suffit de répondre que rien dans le traité n'empêche les
institutions d'organiser, dans les règles communes qu'elles arrêtent, des
actions concertées à l'égard des pays tiers ni de prescrire les attitudes à
prendre par les États membres vis-à-vis de l'extérieur. Plusieurs des règlements
que la Commission a cités, en matière de transports, dans sa réponse à la
troisième question écrite que lui a adressée la Cour, illustrent d'ailleurs
cette possibilité.
80 Ainsi, l'article 3, troisième alinéa, du règlement
(CEE) n_ 4058/86 du Conseil, du 22 décembre 1986, concernant une action
coordonnée en vue de sauvegarder le libre accès au trafic transocéanique (JO L
378, p. 21), prévoit que le Conseil, statuant selon les modalités de vote
prévues à l'article 84, paragraphe 2, du traité, peut décider d'une action
coordonnée, lorsqu'une mesure prise par un État tiers limite le libre accès des
compagnies maritimes d'États membres au transport de ligne. Ainsi encore, le
règlement (CEE) n_ 4055/86 du Conseil, du 22 décembre 1986, portant application
du principe de la libre prestation des services aux transports maritimes entre
États membres et entre États membres et pays tiers (JO L 378, p. 1), prescrit
(article 3) la suppression ou l'adaptation des arrangements existants en matière
de partage des cargaisons et (article 5) subordonne les arrangements en matière
de partage des cargaisons dans tout accord futur à une procédure communautaire
d'autorisation.
81 A la différence du chapitre sur les transports, ceux sur
le droit d'établissement et la libre prestation de services ne comportent aucune
disposition qui étende expressément la compétence de la Communauté à «des
relations relevant du droit international». Comme l'ont souligné à juste titre
le Conseil et la plupart des États ayant présenté des observations, leur seul
objectif est d'assurer le droit d'établissement et la libre prestation de
services au profit des ressortissants d'États membres. Ils ne comportent aucune
disposition qui règle le problème du premier établissement de ressortissants de
pays tiers et le régime de leur accès à des activités non salariées. Il est donc
exclu de pouvoir déduire d'emblée de ces chapitres une compétence exclusive de
la Communauté pour conclure avec des États tiers un accord visant à libéraliser
le premier établissement et l'accès aux marchés des services autres que ceux qui
font l'objet de fournitures transfrontalières au sens du GATS, lesquels relèvent
de l'article 113 (voir ci-dessus, point 42).
82 Se référant à l'avis 1/76,
précité (points 3 et 4), la Commission expose, en second lieu, que la compétence
externe exclusive de la Communauté n'est pas limitée aux cas où la compétence
interne a déjà été utilisée en vue d'adopter des mesures s'inscrivant dans la
réalisation de politiques communes. Dès lors que le droit communautaire a établi
dans le chef des institutions des compétences internes en vue de réaliser un
objectif déterminé, la compétence internationale de la Communauté découlerait de
façon implicite de ces dispositions. Il suffirait que la participation de la
Communauté à l'accord international soit nécessaire à la réalisation d'un des
objectifs de la Communauté.
83 La Commission avance à cet égard des raisons
tant internes qu'externes qui justifieraient la participation de la Communauté
et d'elle seule à la conclusion du GATS et du TRIPs. Sur le plan interne, la
Commission fait valoir qu'à défaut, la cohésion du marché intérieur serait
atteinte. Sur le plan externe, la Communauté européenne ne peut se permettre de
demeurer inactive sur la scène internationale: la nécessité de conclure l'Accord
OMC et ses annexes, reflet d'une approche globale du commerce international
(embrassant marchandises, services et propriété intellectuelle), n'est pas
contestée.
84 Cette application de l'avis 1/76, dans le cas du GATS, ne peut
être acceptée.
85 L'avis 1/76 se rapporte à un problème différent de celui
qui se présente avec le GATS. Il s'agissait d'assainir la situation économique
de la batellerie dans les bassins rhénan et mosellan, ainsi que sur la totalité
des voies navigables néerlandaises et les voies navigables allemandes reliées au
bassin rhénan, en éliminant les surcapacités conjoncturelles. L'établissement de
règles communes autonomes ne permettait pas de réaliser cet objectif en raison
de la participation traditionnelle de bateaux relevant de la Suisse à la
navigation sur les voies navigables en question. Il était donc nécessaire
d'associer la Suisse au régime envisagé au moyen d'un accord international (voir
avis 1/76, précité, point 2). De même, en matière de préservation des ressources
de la mer, il serait peu efficace de limiter, par des mesures législatives
internes, l'activité de pêche en haute mer des bateaux battant pavillon d'un
État membre, si les mêmes restrictions ne devaient pas s'appliquer aux bateaux
battant pavillon d'un pays tiers riverain des mêmes eaux. Il se comprend alors
que la compétence externe puisse être exercée, sans qu'il y ait eu au préalable
adoption d'un acte législatif interne, et devenir ainsi exclusive.
86 Telle
n'est pas la situation dans le domaine des services: la réalisation de la
liberté d'établissement et de la libre prestation des services en faveur des
ressortissants des États membres n'est pas indissolublement liée au sort à
réserver dans la Communauté aux ressortissants de pays tiers ou dans les pays
tiers aux ressortissants d'États membres de la Communauté.
87 La Commission
se réfère, en troisième lieu, aux articles 100 A et 235 du traité comme base
d'une compétence externe exclusive.
88 Pour ce qui est de l'article 100 A,
il n'est pas contestable que, lorsque la compétence d'harmonisation a été
exercée, les mesures d'harmonisation ainsi arrêtées peuvent limiter la liberté
des États membres de négocier avec des pays tiers, voire la leur enlever. Mais
il est exclu qu'une compétence d'harmonisation sur le plan interne, qui n'a pas
été mise en oeuvre dans un domaine déterminé, puisse aboutir à créer, en faveur
de la Communauté, un titre de compétence exclusive, sur le plan externe, dans ce
domaine.
89 S'agissant de l'article 235, qui permet à la Communauté de
remédier aux insuffisances des pouvoirs qui lui sont conférés, explicitement ou
implicitement, en vue de la réalisation de ses objectifs, il ne peut créer comme
tel un titre de compétence exclusive de la Communauté sur le plan international.
En effet, en dehors du cas où elle ne peut être exercée utilement qu'en même
temps que la compétence externe (voir avis 1/76, précité, et le point 85
ci-dessus), une compétence interne ne peut engendrer de compétence externe
exclusive que si elle est exercée, et il en va a fortiori de même pour l'article
235.
90 De ce que le seul objectif expressément indiqué dans les chapitres
sur le droit d'établissement et la libre prestation des services soit la
réalisation de ces libertés au profit des ressortissants des États membres de la
Communauté, il ne découle cependant pas que les institutions communautaires se
voient interdire de faire usage des pouvoirs qui leur sont conférés dans ce
cadre en vue de préciser le traitement qui doit être réservé aux ressortissants
de pays tiers. De nombreux actes arrêtés par le Conseil - mais dont celui-ci n'a
fait aucune mention - sur la base des articles 54 et 57, paragraphe 2, du traité
comportent des dispositions à ce sujet. La Commission en a dressé la liste en
réponse à une question de la Cour.
91 De l'examen de ces actes, il apparaît
que des objectifs très différents peuvent être poursuivis par l'insertion de ces
clauses externes.
92 Les directives de coordination en matière de publicité
et de comptes de sociétés ne s'appliquaient qu'aux sociétés en tant que telles
mais non à leurs succursales. Cela donnait lieu à une certaine disparité sur le
plan de la protection des associés et des tiers entre les sociétés qui opèrent
dans d'autres États membres en créant des succursales et celles qui y opèrent en
créant des sociétés filiales. La directive 89/666/CEE du Conseil, du 21 décembre
1989, concernant la publicité des succursales créées dans un État membre par
certaines formes de société relevant du droit d'un autre État (JO L 395, p. 36),
fondée sur l'article 54 du traité, est dès lors venue régler les obligations en
matière de publicité qui s'imposent à de telles succursales. Afin d'éviter toute
discrimination en raison du pays d'origine des sociétés, cette directive a dû
également viser les succursales créées par des sociétés relevant du droit de
pays tiers.
93 Ainsi encore, la deuxième directive 89/646/CEE du Conseil, du
15 décembre 1989, visant à la coordination des dispositions législatives,
réglementaires et administratives concernant l'accès à l'activité des
établissements de crédit et son exercice, et modifiant la directive 77/780/CEE
(JO L 386, p. 1), fondée sur l'article 57, paragraphe 2, du traité, comporte un
titre III sur «les relations avec les pays tiers». Cette directive a instauré le
système de l'agrément unique et prescrit la reconnaissance réciproque des
contrôles.
94 Une fois agréé dans un État membre, un établissement de crédit
peut exercer son activité dans un autre État membre, par exemple en y créant une
succursale sans avoir à solliciter une nouvelle autorisation de cet État. Dans
ces conditions, il suffisait à un établissement de crédit ayant son siège dans
un État tiers de créer une filiale dans un État membre ou d'acquérir le contrôle
d'un établissement qui y avait son siège pour pouvoir implanter des succursales
dans tous les autres États de la Communauté sans avoir à solliciter de nouveaux
agréments. C'est pourquoi le titre III de cette directive prévoit une série de
mesures, y compris des procédures de négociation, destinées à permettre
d'obtenir que des possibilités de concurrence comparables soient offertes dans
les pays tiers aux établissements de crédit communautaires. Des dispositions
similaires ont été adoptées en matière d'assurances [article 4 de la directive
90/618/CEE du Conseil, du 8 novembre 1990, modifiant, en ce qui concerne plus
particulièrement l'assurance de la responsabilité civile résultant de la
circulation des véhicules automoteurs, les directives 73/239/CEE et 88/357/CEE
qui portent coordination des dispositions législatives, réglementaires et
administratives concernant l'assurance directe autre que l'assurance sur la vie
(JO L 330, p. 44); article 8 de la deuxième directive 90/619/CEE du Conseil, du
8 novembre 1990, portant coordination des dispositions législatives,
réglementaires et administratives concernant l'assurance directe sur la vie,
fixant les dispositions destinées à faciliter l'exercice effectif de la libre
prestation de services et modifiant la directive 79/267/CEE (JO L 330, p. 50)],
et dans le domaine financier [article 7 de la directive 93/22/CEE du Conseil, du
10 mai 1993, concernant les services d'investissement, dans le domaine des
valeurs mobilières (JO L 141, p. 27)].
95 Dès lors que la Communauté a
inclus dans ses actes législatifs internes des clauses relatives au traitement à
réserver aux ressortissants de pays tiers ou qu'elle a conféré expressément à
ses institutions une compétence pour négocier avec les pays tiers, elle acquiert
une compétence externe exclusive dans la mesure couverte par ces actes.
96
Il en va en tout cas également ainsi, même en l'absence de clause expresse
habilitant ses institutions à négocier avec des États tiers, lorsque la
Communauté a réalisé une harmonisation complète du régime d'accès à une activité
non salariée, car les règles communes ainsi adoptées pourraient être affectées
au sens de l'arrêt AETR, précité, si les États membres conservaient une liberté
de négociation avec les pays tiers.
97 Tel n'est toutefois pas le cas dans
tous les secteurs des services, ainsi que la Commission l'a admis elle-même.
98 Des considérations qui précèdent, il résulte que la compétence pour
conclure le GATS est partagée entre la Communauté et les États membres.
B.
Le TRIPs
99 Pour étayer sa revendication d'une compétence exclusive de la
Communauté pour conclure le TRIPs, la Commission invoque l'existence d'actes de
droit dérivé qui seraient susceptibles d'être affectés au sens de l'arrêt AETR,
précité, si les États participaient de façon conjointe à sa conclusion, et,
comme dans le cas du GATS, la nécessité pour la Communauté de participer à
l'accord en vue de réaliser un des objectifs qui lui ont été fixés par le traité
(doctrine dite de l'avis 1/76) ainsi que les articles 100 A et 235.
100 La
pertinence de la référence à l'avis 1/76 est tout aussi contestable pour ce qui
est du TRIPs qu'en ce qui concerne le GATS: l'unification ou l'harmonisation de
la propriété intellectuelle dans le cadre communautaire ne doit pas
nécessairement s'accompagner, pour avoir un effet utile, d'accords avec les pays
tiers.
101 Quant aux articles 100 A et 235 du traité, ils ne peuvent, ainsi
qu'il a déjà été exposé, créer comme tels un titre de compétence exclusif en
faveur de la Communauté.
102 Il ne reste donc qu'à examiner si les actes de
droit dérivé adoptés dans le cadre communautaire sont susceptibles d'être
affectés au sens de l'arrêt AETR, précité, en cas de participation des États à
la conclusion du TRIPs, ainsi que le soutient la Commission.
103 Il suffit,
à cet égard, de constater que, en toute hypothèse, l'harmonisation réalisée dans
le cadre communautaire dans certains domaines couverts par le TRIPs n'est que
partielle et que, dans d'autres domaines, aucune harmonisation n'a été prévue.
L'harmonisation n'est que partielle en matière de marques, par exemple: il
ressort en effet du troisième considérant de la première directive 89/104/CEE du
Conseil, du 21 décembre 1988, rapprochant les législations des États membres sur
les marques (JO 1989, L 40, p. 1), qu'elle se limite au rapprochement des
législations nationales ayant «l'incidence la plus directe sur le fonctionnement
du marché intérieur». Dans d'autres domaines couverts par le TRIPs, aucun acte
communautaire d'harmonisation n'a été pris. Il en est ainsi dans le domaine de
la protection des informations techniques non divulguées, dans celui des dessins
et modèles pour lesquels seules des propositions ont été présentées et dans
celui des brevets. En matière de brevets, les seuls actes dont la Commission
fasse état sont des conventions d'origine intergouvernementale, et non des actes
communautaires: la Convention de Munich du 5 octobre 1973 sur la délivrance de
brevets européens (JORF, décret nº 77-1151, du 27 septembre 1977, p. 5002) et
l'Accord de Luxembourg du 15 décembre 1989 en matière de brevets communautaires
(JO L 401, p. 1), lequel n'est d'ailleurs pas encore entré en vigueur.
104
Certains des gouvernements qui ont présenté des observations ont fait valoir que
les dispositions du TRIPs relatives aux mesures à prendre pour garantir une
protection efficace des droits de propriété intellectuelle, telles que la
garantie d'une procédure loyale et équitable, les règles quant à la présentation
des moyens de preuve, le droit à être entendu, la motivation des décisions, le
droit de recours, les mesures provisoires et les dommages-intérêts relèvent de
la compétence des États membres. Si cet argument doit être compris comme
signifiant que toutes ces questions entrent dans une sorte de domaine réservé
des États membres, il ne peut être accepté. La Communauté a certainement une
compétence pour harmoniser les règles nationales sur ces sujets, pour autant
qu'elles aient, pour reprendre la formule de l'article 100 du traité, «une
incidence directe sur l'établissement ou le fonctionnement du marché commun». Il
reste que les institutions communautaires n'ont pas exercé jusqu'ici leurs
compétences dans le domaine des «moyens de faire respecter les droits de
propriété intellectuelle», sauf pour ce qui est du règlement nº 3842/86, précité
(ci-dessus au point 55), sur l'interdiction de la mise en libre pratique des
marchandises de contrefaçon.
105 Des considérations qui précèdent, il
résulte que la Communauté et ses États membres ont une compétence partagée pour
conclure le TRIPs.
IX. Sur l'obligation de coopération entre États membres
et institutions communautaires
106 Lors de l'audition, la Commission a
attiré l'attention de la Cour sur les difficultés qui résulteront, sur le plan
de la gestion des accords, de la reconnaissance d'une compétence partagée de la
Communauté et des États membres pour participer à la conclusion des accords GATS
et TRIPs. Alors que, dans la négociation des accords, c'est en fait la procédure
de l'article 113 du traité qui a prévalu avec quelques ajustements minimes, les
États membres demanderont immanquablement à s'exprimer individuellement, dans le
cadre de l'OMC, sur les questions relevant de leurs compétences, dès lors qu'un
consensus n'aura pu se dégager. En outre, d'interminables discussions
s'ensuivront en vue de déterminer si telle question entre dans la compétence de
la Communauté, auquel cas s'appliqueront les mécanismes communautaires prévus
par les dispositions pertinentes du traité, ou bien dans la compétence des
États, ce qui fera jouer la règle du consensus. L'unité d'action de la
Communauté vis-à-vis de l'extérieur s'en trouvera ainsi minée et sa force de
négociation grandement affaiblie.
107 En réponse à cette préoccupation tout
à fait légitime, il y a lieu de souligner d'abord que les difficultés qui se
présenteraient au plan de la mise en oeuvre de l'Accord OMC et de ses annexes
quant à la coordination nécessaire en vue d'assurer l'unité d'action en cas de
participation conjointe de la Communauté et des États ne sont pas de nature à
modifier le sens de la réponse à donner à la question de la compétence. Celle-ci
est, en effet, une question préalable. Comme l'a souligné le Conseil, le
problème de répartition de compétence ne (peut) être réglé en fonction des
difficultés éventuelles qui pourraient se faire jour lors de la gestion des
accords. 108 Il convient de rappeler ensuite que lorsqu'il apparaît que la
matière d'un accord ou d'une convention relève pour partie de la compétence de
la Communauté et pour partie de celle des États membres, il importe d'assurer
une coopération étroite entre ces derniers et les institutions communautaires
tant dans le processus de négociation et de conclusion que dans l'exécution des
engagements assumés. Cette obligation de coopération découle de l'exigence d'une
unité de représentation internationale de la Communauté (délibération 1/78, du
14 novembre 1978, Rec. p. 2151, points 34 à 36, et avis 2/91, précité, point
36).
109 Ce devoir de coopération s'impose de façon d'autant plus impérieuse
dans le cas d'accords comme ceux annexés à l'Accord OMC, entre lesquels existe
un lien indissociable, et au vu du mécanisme de rétorsion croisée que met en
place le mémorandum d'accord concernant le règlement des litiges. Ainsi, à
défaut de coopération étroite, dans l'hypothèse où un État membre, dans sa
sphère de compétence, aurait été dûment autorisé à prendre des mesures de
rétorsion mais estimerait qu'elles seraient inefficaces si elles étaient prises
dans les domaines couverts par le GATS ou par le TRIPs, il ne disposerait pas,
au regard du droit communautaire, du pouvoir de prendre des mesures de rétorsion
dans le domaine du commerce des marchandises, puisque cette matière relève, en
tout état de cause, de la compétence exclusive que détient la Communauté au
titre de l'article 113 du traité. Inversement, à défaut de la même coopération
étroite, si la Communauté obtenait le droit de rétorsion dans le domaine des
marchandises mais s'estimait incapable de l'exercer, elle se trouverait dans
l'impossibilité juridique de prendre des mesures de rétorsion dans les domaines
couverts par le GATS et le TRIPs, qui relèveraient de la compétence des États.
110 La Commission n'ayant posé sa troisième question que pour le cas où la
Cour reconnaîtrait la compétence exclusive de la Communauté, il n'y a pas lieu
d'y répondre.
Dispositif
En conséquence,
LA COUR
émet
l'avis suivant:
1) La Communauté est seule compétente, au titre de l'article
113 du traité CE, pour conclure les Accords multilatéraux relatifs au commerce
des marchandises.
2) La compétence pour conclure le GATS est partagée entre
la Communauté et ses États membres.
3) La compétence pour conclure le TRIPs
est partagée entre la Communauté et ses États membres